Interview du mois: Natalie Nicholles

Ce mois-ci, SFG a eu le plaisir d’échanger avec Natalie Nicholles, directrice exécutive de la Capitals Coalition. La directrice générale du SFG a récemment rejoint le comité consultatif de la Capitals Coalition, une collaboration mondiale et multipartite. Lancée en janvier 2020, la Capitals Coalition rassemble plus de 500 organisations de premier plan pour accélérer l’adoption de la pensée fondée sur les capitaux. Découvrez cette approche innovante et la manière dont la coalition prévoit de la diffuser à l’échelle mondiale.

La Capitals Coalition affirme son ambition comme suit : « Faire en sorte que la majorité des entreprises, des institutions financières et des gouvernements intègrent la valeur des capitaux dans leur prise de décision d’ici 2035 ». Comment comptez-vous atteindre cet objectif ambitieux ?

Nous savons que nous avons fixé une vision ambitieuse pour une économie résiliente valorisant ce qui compte vraiment. Nous l’avons fait parce que nous pensons que l’urgence de redéfinir ce que nous valorisons ne cesse de croître. Les métriques financières seules, centrées sur le PIB et le capital financier, peinent à offrir la prospérité qu’elles procuraient autrefois. Elles ont rempli leur rôle par le passé, mais elles ne correspondent plus à notre monde interconnecté. La polycrise à laquelle nous faisons face – du changement climatique à l’appauvrissement de la nature en passant par l’accroissement des inégalités sociales – présente des risques systémiques que les indicateurs financiers traditionnels ne peuvent à eux seuls capturer. C’est pourquoi des métriques de succès actualisées ne sont pas seulement importantes ; elles sont essentielles pour notre avenir collectif.

Nous reconnaissons que la voie à suivre ne sera pas facile. La politisation des enjeux environnementaux et sociaux, le coût de la mise en œuvre des plans de transition et les tensions géopolitiques entravent davantage les efforts. Pourtant, la montée du populisme à travers le monde montre que la majorité des gens se sentent laissés pour compte par les systèmes économiques actuels. Ils revendiquent une économie qui valorise le bien-être, la santé, l’emploi et les retraites : une économie de l’impact plutôt que de la production. Et c’est un message puissant à entendre.

Pour façonner des entreprises résilientes, la prise de décision doit se fonder sur l’interdépendance des systèmes naturels, sociaux, humains et financiers. Notre nouvelle stratégie sur dix ans décrit comment nous entendons réaliser cette vision. C’est un parcours d’influence – nous voulons engager les décideurs et détenteurs de pouvoir clés, en particulier ceux qui régulent les systèmes financiers et économiques actuels. Nous croyons que les comptables sont essentiels à ce changement systémique et contribueront à faire entrer la valeur de tous les capitaux dans les bilans comptables.

Des signaux de marché enthousiasmants montrent que les rendements financiers dépendent de la valeur de tous les capitaux. Ces dernières années, des leaders innovants dans les affaires et la finance ont été à l’avant-garde de l’intégration de la valeur de tous les capitaux dans leurs bilans et conseils d’administration. Des entreprises telles que Forico, Natura, Orsted, Olam, Novartis et Holcim démontrent la puissance de l’intégration des capitaux naturels, sociaux, humains et produits dans la prise de décision pour renforcer la résilience. Ces entreprises, ainsi que d’autres, ont innové et collaboré pour prendre en compte ce qui compte vraiment, à travers divers secteurs et géographies.

Comme mentionné dès le début, nous nous engageons à rendre cette approche transformatrice dominante en actualisant le système financier. Il s’agit de voir la valeur de tous les capitaux apparaître sur les bilans et les comptes de résultat, et de comprendre les impacts et dépendances qui façonnent véritablement notre monde. Nous sommes une coalition – une collaboration mondiale de plus de 500 partenaires qui joueront tous leur rôle. Il s’agit d’un partenariat radical travaillant ensemble pour changer les comportements et les systèmes. Une fois l’invisible rendu visible, les financements pourront affluer là où ils sont le plus nécessaires pour construire une économie d’impact pour les populations et la planète.

La Capitals Coalition a accompli un travail impressionnant pour développer le Cadre Bêta pour une prise de décision intégrée. En quoi consiste exactement ce cadre et comment imaginez-vous son adoption par les entreprises ? Comment voyez-vous son adoption contribuer à une transformation durable à grande échelle ?

Merci. Ce cadre est actuellement en consultation, et nous prévoyons de le lancer en juillet. Il s’agit d’un cadre innovant et pratique permettant d’instaurer la confiance dans le processus d’évaluation afin d’améliorer la prise de décision sur tous les capitaux. Il introduit sept étapes pour intégrer la valeur des quatre capitaux dans la prise de décision et s’accompagne d’un cadre de gouvernance clair (« Governance for Valuation ») ainsi que de directives techniques détaillées (« Capitals Protocol »). En s’appuyant sur des exemples concrets et des projets pilotes issus du monde des affaires et de la finance, nous ciblerons des régulateurs et décideurs spécifiques avec un guide prêt à l’emploi pour intégrer les quatre capitaux dans leurs cadres réglementaires. Cela garantira que la planification de la transition conduise à un avenir neutre en carbone, positif pour la nature et équitable.

Pour libérer pleinement le potentiel transformateur de notre cadre, et pour qu’il soit adopté par le marché, nous voulons nous assurer qu’il soit intégré dans les orientations réglementaires. Ce sera un moment charnière, qui redéfinira l’économie réelle ainsi que notre compréhension de la valeur et de sa création. La décision qui se présente aujourd’hui est de rendre la nature financièrement pertinente, en l’intégrant au bilan et dans le compte de résultat. À l’avenir, l’impératif sera d’incorporer pleinement la nature et la valeur de l’ensemble des capitaux dans la planification des transitions.

Alors que ce cadre est adopté sur une base volontaire par les entreprises, comment envisagez-vous d’intégrer l’approche par les capitaux dans les politiques publiques et les marchés de manière plus formalisée ?

En ce qui concerne la nature, nous avons constaté un réel engagement des entreprises en faveur du climat, de la biodiversité et de la nature. Cela a été soutenu par le développement du cadre volontaire de la TNFD, ainsi que par l’adoption par les décideurs mondiaux de l’exigence pour les grandes organisations d’évaluer, de divulguer et d’agir sur leurs impacts et dépendances vis-à-vis de la nature (Objectif 15 du Cadre mondial pour la biodiversité). Cela pourrait servir de modèle pour les autres types de capitaux. Nous observons une reconnaissance croissante chez les entreprises de la nécessité d’aller au-delà de la simple divulgation. Beaucoup d’entre elles perçoivent une véritable opportunité dans le fait de ne plus se limiter à la transmission d’informations, mais de mettre à profit ces connaissances. Bien sûr, certaines entreprises restent réticentes, et de nombreux obstacles persistent. Néanmoins, nous sommes inspirés par les exemples de bonnes pratiques et croyons fermement qu’une réglementation réfléchie sera déterminante pour mobiliser une action plus large, en rendant ces démarches obligatoires.

Comment imaginez-vous l’adoption de l’approche par les capitaux dans le secteur financier ? En quoi cela diffère-t-il de son adoption par les entreprises de l’économie réelle ?

Le pouvoir réside dans le système financier, et celui-ci commence à comprendre et à accepter qu’ignorer les dépendances à la nature, aux personnes et à la société compromet la stabilité de l’environnement d’exploitation et la création de valeur multidimensionnelle à long terme. Cette prise de conscience marque un tournant majeur dans notre chemin collectif vers une économie qui valorise à la fois les personnes et la planète face aux risques environnementaux et sociaux croissants. Selon le deuxième indice de référence du WBA sur les entreprises du secteur financier, les entreprises les plus avancées accordent désormais la priorité aux indicateurs liés au capital naturel, social et humain. Ces entreprises inspirent et incitent les autres à agir. Si nous reconnaissons les progrès de ces pionniers, cela reste insuffisant : il faut relier cette influence à l’économie réelle. Cela commence par l’intégration de la valeur de tous les capitaux dans les bilans et comptes de résultat. Nous avons déjà observé des avancées concrètes dans les investissements en faveur de la nature, soutenues par des réglementations. Nous pensons maintenant qu’il est possible de profiter de cet élan autour de la nature pour élargir l’adoption de l’évaluation de tous les capitaux. Nous avons eu le plaisir de réunir plus de 70 institutions financières de premier plan, entreprises et décideurs politiques à Davos pour débattre précisément de cette thématique. Nous voyons émerger certains signaux de changement dans les mandats d’investissement et les objectifs d’impact. Et il y en aura d’autres.

Nous adoptons une approche multifacette pour atteindre notre objectif. Cela signifie que nous exploitons notre expérience de l’économie réelle et réfléchissons aux changements financiers et réglementaires nécessaires en parallèle. Quelques solutions pratiques pour aller plus vite ensemble sont : la numérisation des données et des informations, l’infrastructure de marché adaptée pour faire correspondre la prise de décision aux investissements à grande échelle, les mécanismes financiers innovants pour inciter le marché, la finance mixte et les échanges de dette, ainsi que les partenariats. L’innovation et la collaboration entre les entreprises, la finance et les décideurs politiques sont fondamentales pour accélérer les flux de capitaux au service des populations et de la planète. Avec l’aide de la réglementation, nous pouvons mobiliser les marchés financiers vers un avenir économique prospère, positif pour la nature et neutre en carbone. Un avenir que nous valoriserons tous.

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