Interview du Mois : David Craig, TNFD

Ce mois-ci, SFG a eu le plaisir de s’entretenir avec David Craig, coprésident de la Task Force for Nature-Related Financial Disclosures (TNFD). Il a fourni des informations supplémentaires sur l’adoption du cadre volontaire depuis son lancement en 2023, sur les mesures prises pour combler les lacunes en matière de données et de capacités, et sur la manière dont les évaluations et les informations liées à la nature aident les entreprises à innover, à réduire leurs coûts, à accéder à de nouveaux marchés et à identifier de nouvelles opportunités d’investissement.

TNFD est un cadre volontaire, et pourtant plus de 500 organisations, dont 25 % des banques d’importance systémique mondiale (G-SIB), se sont engagées à divulguer des informations liées à la nature. C’est un excellent début. Était-ce ce à quoi vous vous attendiez lors du lancement du cadre ? Quelles sont vos attentes concernant son développement future ? Comment comptez-vous améliorer la transparence du secteur financier ainsi que ses efforts d’engagement en lien avec la nature ?

Lorsque la TNFD a publié ses recommandations finales en septembre 2023, nous espérions que leur adoption par le marché progresserait rapidement. Il y a une prise de conscience croissante de l’importance de la nature et de la biodiversité pour les entreprises et la finance : les risques liés à la nature sont déjà présents dans les bilans, les flux de trésorerie et les portefeuilles, qu’il s’agisse de petites entreprises, de multinationales ou d’investisseurs globaux. L’engagement volontaire à s’aligner sur la TNFD est une reconnaissance publique du fait qu’investisseurs et entreprises prennent les risques liés à la nature au sérieux.

Ces risques émergent à l’échelle mondiale et tout au long des chaînes de valeur, poussant les acteurs du marché à étudier leurs impacts. Les modèles économiques, les chaînes d’approvisionnement et la performance à long terme dépendent de services écosystémiques tels que l’approvisionnement en eau douce ou les services de pollinisation. Les entreprises qui ne parviennent pas à évaluer et à gérer ces risques s’exposent à des impacts opérationnels et financiers qui affecteront leur chaîne d’approvisionnement et leur réputation (cf rapport 2023 de Bloomberg NEF When the Bee Stings). A contrario, les entreprises ayant agi précocement afin d’identifier, d’évaluer et quantifier les enjeux liés à la nature seront mieux préparées à la gestion de ces risques et donc prêts à saisir de nouvelles opportunités.

Nous nous attendons à ce que le nombre « d’adeptes » continue d’augmenter. En effet, en plus des 500+ organisations qui se sont déjà engagées publiquement à adopter les recommandations de la TNFD à la COP16 en octobre 2024, nous savons que de nombreuses autres entreprises et institutions financières utilisent l’approche LEAP pour évaluer leurs enjeux liés à la nature, sans pour autant les communiquer publiquement. À mesure que les entreprises et les institutions financières comprendront mieux les enjeux existants dans leurs interactions avec la nature -ainsi que les opportunités qui en découlent – nous sommes confiants qu’elles continueront à s’engager dans l’évaluation et la divulgation d’informations liées à la nature afin de renforcer la résilience de leurs activités.

Quels sont, selon vous, les principaux obstacles à une adoption généralisée des recommandations de la TNFD par les entreprises, et comment peut-on les surmonter?

Depuis la création de la TNFD en 2021, nous avons entendu et pris en compte de nombreuses retours du marché, notamment durant les deux ans de conception et de développement des recommandations. Afin de répondre à ces questions, la TNFD a élaboré des directives supplémentaires (y compris des orientations sectorielles), et des guides sur certains éléments de l’évaluation et de la transparence liée à la nature. Ceux-ci comprennent l’analyse de scénarios, l’engagement des parties prenantes, la planification de la transition et bien d’autres.

Actuellement, la TNFD concentre son attention sur les défis de la collecte de données liées à la nature. En effet, les retours du marché ont fait ressortir des inquiétudes concernant leur qualité, leur comparabilité et leur vérifiabilité. Le coût élevé associé à leur identification et leur acquisition a également été souligné. Les données existent, et des innovations constantes émergent en matière de mesure et d’analytique mais le défi réside dans leur collecte, leur assemblage et leur interprétation permettant d’en tirer des conclusions. Pour relever ces défis, la TNFD propose une feuille de route visant à renforcer l’investissement dans les données liées à la nature et à en faciliter l’accès pour les utilisateurs finaux. Un programme pilote est en cours jusqu’en septembre 2025. Il vise à tirer des enseignements concrets pour améliorer la chaîne de valeur des données sur la nature et appuyer la mise en place de la Nature Data Public Facility (NDPF), une plateforme publique d’accès à ces données.

Un autre obstacle majeur pour de nombreuses organisations est le manque de ressources, de capacités ou de compréhension des enjeux liés à la nature. Les lacunes en matière de connaissances et de compétences, ainsi que la crainte de l’inconnu, peuvent freiner leur volonté d’entamer leurs évaluations et divulgations. Toutefois, à travers plus de 200 projets pilotes, de nombreuses entreprises ont constaté qu’une fois commencée, l’évaluation liée à la nature est plus intuitive que prévu. La TNFD a récemment élargi son offre d’accompagnement, notamment en lançant deux nouveaux outils: le Learning Lab pour un apprentissage autonome et le Trainer Portal pour soutenir les formateurs tiers. Se lancer et nourrir son ambition est fondamental.

Avec le lancement de ces deux nouveaux outils d’accompagnement ciblant les acteurs clés et les formateurs tiers, quelles lacunes en matière de connaissances ou de compétences visez-vous à combler et comment espérez-vous que ces outils accéléreront l’adoption du cadre de la TNFD ?

A travers l’ensemble des outils et ressources proposés, la TNDF vise à accompagner toutes les parties prenantes, quel que soit leur stade de maturité, leur région géographique ou leur niveaux hiérarchiques et fonctionnels. Combler les lacunes en matière de connaissances passe avant tout par la cohérence et l’alignement de contenus fondamentaux, qui à leur tour permettront l’élaboration d’un langage commun et une compréhension partagée de la nature. Les supports répondent au « pourquoi », au « quoi » et au « comment », en donnant au marché les clés pour agir concrètement.

Le Learning Lab est un ensemble de modules d’apprentissage autonome couvrant tous les aspects des recommandations et orientations de la TNFD. Il est conçu pour permettre aux professionnels de tout niveau d’apprendre à leur propre rythme. Parallèlement, le Trainer Portal fournit des supports à utiliser dans le cadre de programmes de formation et d’enseignement sur les enjeux liés à la nature et les recommandations de la TNFD. Il est conçu pour être adaptés par les organismes de formation, les établissements d’enseignement et les consultants.

A la lumière des récents bouleversements politiques et de leur influence potentielle sur les politiques et accords environnementaux mondiaux, prévoyez-vous des changements dans la manière dont le secteur privé aborde les enjeux liés à la nature?

Au cours des derniers mois, nous avons observé certaines tendances, telles que la montée du scepticisme envers les critères ESG et les évolutions réglementaires du paquet de simplification Omnibus de l’UE. Toutefois, la TNFD répond à une question plus fondamentale ; celle de la gestion des risques et de la résilience financière et économique à long terme. Indépendamment de l’existence ou non d’une réglementation, l’adoption du cadre TNFD et la publication de rapports se poursuivent, car les acteurs du marché prennent conscience que le risque lié à la nature est déjà présent dans leurs modèles d’affaires. Ne pas comprendre ce risque faute d’évaluation des enjeux liés à la nature compromet la résilience des entreprises.

Les investisseurs en sont également conscients et nous savons qu’à ce jour, plus de 15 détenteurs d’actifs et investisseurs ont appelé à la transparence sur les questions liées à la nature, certains mentionnant explicitement la TNFD. Nombreux sont ceux à également rejoindre des initiatives d’investissement globales telles que PRI Spring ou Nature Action 100.

Les entreprises découvrent aussi des opportunités grâce à leurs évaluations liées à la nature, ce qui leur permet d’innover, de réduire leurs coûts, d’accéder à de nouveaux marchés et d’identifier des opportunités d’investissement ou de transition. En 2024, le Forum économique mondial a estimé que le marché global des solutions fondées sur la nature atteindrait 800 milliards de dollars américains d’ici 2030, ouvrant ainsi des perspectives commerciales majeures. De nouveaux produits et innovations émergent dans des domaines tels que les matériaux innovants, le recyclage, la gestion des déchets, les produits chimiques alternatifs, les produits naturels ou les emballages (cf le rapport Opportunity Blossoms publié par Bloomberg NEF en octobre 2024). Choisir de réaliser des évaluations et des divulgations conformes à la TNFD ne relève donc pas uniquement de la conformité réglementaire, mais d’une prise de décision stratégique éclairée, au service d’un avenir positif pour la nature.

Nous savons que la nature et le climat sont deux faces d’une même pièce, mais ils restent souvent traités séparément dans les processus d’entreprise. Comment percevez-vous les liens entre nature et climat dans le cadre des divulgations ? Existe-t-il des connexions directes entre la TNFD et la TCFD ?

La nature et le climat font tous deux partie intégrante du monde naturel. Dans la réalité, ils sont indissociables, et la TNFD encourage les organisations à les considérer dans leur ensemble. Le cadre du TNFD adopte une approche intégrée climat-nature, fondée sur la compréhension du système naturel à travers quatre grands domaines : l’atmosphère, la terre, les océans et les eaux douces.

Nous favorisons également une approche intégrée de la transparence en s’appuyant directement sur les recommandations de la TCFD. En effet, ses onze recommandations ont été reprises dans le cadre TNFD, auxquelles s’ajoutent trois divulgations supplémentaires propres à la nature : l’engagement avec les populations autochtones, les communautés locales et les parties prenantes concernées ; l’interaction avec les zones prioritaires ; et les chaînes de valeur.

De nombreuses organisations parmi les premières à avoir adopté la TNFD nous ont indiqué que l’établissement de liens entre climat et nature — ou entre les cadres TCFD et TNFD — facilite considérablement l’élaboration des rapports. Certains publient d’ailleurs déjà leurs divulgations conformes au TNFD dans leurs rapports annuels ou intégrés, aux côtés de leurs rapports sur le climat.

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