Interview du Mois: Dominic Hofstetter

La semaine prochaine, la directrice de SFG participera au Sommet sur l’investissement systémique organisé à Londres par TransCap Initiative et TWIST, afin de rencontrer les acteurs engagés dans la transformation systémiques des systèmes financiers et économiques.  En amont du sommet, nous avons saisi l’occasion d’échanger avec le directeur exécutif de l’initiative TransCap afin d’en savoir plus sur son travail et sur l’investissement systémique.

1. Pour nos auditeurs ne connaissant pas votre organisation, pouvez-vous donner un bref aperçu de votre mission et de votre travail ? 

Absolument ! La TransCap Initiative (TCI) est une initiative d’innovation à but non lucratif. Nous sommes basés en Suisse, mais nous collaborons avec des partenaires et menons des projets à travers le monde. Notre mission est de structurer et développer le domaine de l’investissement systémique. Pour ce faire, nous réalisons des recherches, testons des prototypes et effectuons tout ce qui est nécessaire à la construction d’un écosystème, notamment l’organisation d’événements, la formation et le plaidoyer.

2. Comme vous l’avez mentionné, prenons un instant pour approfondir le concept d’investissement systémique. Le domaine de la finance durable regorge déjà de nombreux termes – investissement responsable, finance durable, investissement à impact, finance régénérative – et maintenant, investissement systémique. Mais qu’entend-on précisément par ce terme ? En quoi se distingue-t-il des autres approches et en quoi est-il unique ?

On peut voir l’investissement systémique comme la prochaine étape dans l’évolution de l’investissement à impact. Ce dernier excelle dans le financement de solutions ciblées : il permet de soutenir une entreprise, une technologie ou un projet spécifique qui améliore un indicateur social ou environnemental donné, comme la réduction des émissions de carbone d’une centrale électrique ou l’accès à l’éducation pour les enfants d’une école. Cependant, l’investissement à impact n’a pas été conçu pour transformer des systèmes entiers – qu’il s’agisse de l’énergie, de la mobilité, de l’alimentation, des villes, des chaînes d’approvisionnement ou des écosystèmes côtiers et paysagers.

Or, une transformation systémique résulte d’une multitude de changements qui s’opèrent simultanément, impliquant de nouvelles technologies, des modèles d’affaires innovants, des politiques publiques, des réglementations, des approches éducatives et des évolutions des normes sociales. Chacun de ces éléments requiert des formes de financement différentes : investissements à rendement de marché ou à taux concessionnels, philanthropie, subventions publiques, incitations fiscales, financement des chaînes d’approvisionnement des entreprises, engagements de marché avancés, capital d’assurance et marchés du carbone.

C’est précisément là que l’investissement systémique apporte une contribution essentielle. Transformer un système nécessite de coordonner ces diverses sources de capitaux pour financer stratégiquement un large éventail de projets et d’entreprises. L’investissement systémique est spécifiquement conçu pour répondre à ce besoin, en orchestrant ces financements de manière stratégique afin d’accélérer la transition vers des systèmes durables et résilients.

3. Vous avez mis en œuvre l’investissement systémique à travers des prototypes, dont deux en Suisse portant sur les systèmes alimentaires et de mobilité. Comment sélectionnez-vous les prototypes à développer ? Qu’avez-vous appris grâce à ces expériences ? Comment définissez-vous le succès ?

La TransCap Initiative étant une initiative axée sur l’innovation, l’objectif principal de chacun de nos prototypes est d’apprendre : comprendre ce qui fonctionne, ce qui ne fonctionne pas et ce qui doit évoluer dans la théorie et la pratique de l’investissement systémique. Les systèmes alimentaires et de mobilité sont des terrains d’expérimentation particulièrement intéressants, car ils sont à la fois d’une grande complexité et profondément ancrés dans notre quotidien—nous faisons tous partie de ces systèmes, que ce soit en prenant un train ou en mangeant un hamburger. Voici trois enseignements majeurs que nous avons tirés de ces prototypes :

Premièrement, les flux de capitaux dans ces systèmes ne sont pas stratégiquement orientés. Il est rare de trouver des investisseurs capables d’expliquer en quoi leur allocation financière s’inscrit dans une vision transformatrice, une théorie du changement ou une stratégie d’intervention multi-niveaux. Aujourd’hui, l’investissement se focalise principalement sur des solutions ponctuelles, visant à modifier un indicateur statique plutôt qu’à restructurer ou dynamiser un système dans son ensemble.

Deuxièmement, personne ne connaît réellement les besoins financiers d’un système. Quel montant, sous quelle forme et selon quelles modalités faut-il investir pour assurer la transition du système de mobilité suisse vers la neutralité carbone ou celle du système alimentaire vers une agriculture régénérative ? Ni le gouvernement, ni les fondations, ni même les banques et investisseurs à impact ne disposent d’une réponse claire. Et ce n’est pas uniquement un problème de données : il n’existe tout simplement pas encore de méthodologie permettant d’aborder cette question de manière structurée. Résultat : les capitaux sont souvent mal alloués, avec des excès ou des manques de financement selon les secteurs. Les investisseurs se contentent d’utiliser les instruments qu’ils connaissent ou auxquels ils ont accès, sans toujours s’interroger sur leur adéquation avec les besoins réels d’un système en transformation.

Enfin, les flux de capitaux sont très mal coordonnés. Quand avez-vous vu pour la dernière fois un département des finances d’une ville collaborer étroitement avec des banques locales, des fonds de pension, des fondations et des gestionnaires d’investissement pour aligner leurs financements sur un plan d’action climatique municipal ? … Exactement ! L’un des principaux obstacles est l’absence d’une infrastructure adéquate : nous manquons d’outils, de méthodologies et même d’un langage commun pour permettre une coopération efficace entre les secteurs public, privé et philanthropique dans le cadre de partenariats stratégiques à long terme. C’est précisément l’un des axes de travail de la TransCap Initiative.

4. Fantastique, c’est également une approche que nous développons au sein de SFG dans notre communauté locale ! En prenant un peu de recul et en observant le contexte mondial, nous voyons un climat politique de plus en plus polarisé, marqué par une montée du nationalisme et une résistance croissante aux avancées sociales et environnementales. Comment voyez-vous l’impact de ces dynamiques politiques sur l’avenir de l’investissement ?

Ces tendances ne sont clairement pas favorables à la durabilité, et notre domaine ne sera pas épargné par leurs effets négatifs. Toutefois, l’investissement systémique peut paradoxalement apporter une lueur d’espoir. En effet, le nationalisme s’accompagne souvent d’une politique d’austérité budgétaire, où les gouvernements réduisent leurs dépenses en matière environnementale et sociale. Dans ce contexte, il devient d’autant plus crucial que d’autres sources de financement puissent être mobilisées de manière stratégique et coordonnée afin de pallier ces manques et de continuer à soutenir la transition vers des systèmes durables.

5. Si vous aviez une baguette magique et pouviez changer une seule chose dans le système financier actuel, quelle serait-elle ?

J’inciterais les investisseurs à abandonner l’approche fondée sur des classes d’actifs isolées et à adopter une approche stratégique de portefeuille. Cela signifierait qu’au lieu d’investir un seul type d’actif dans des projets indépendants les uns des autres, ils mobiliseraient l’ensemble du spectre du capital pour financer un large éventail d’entreprises, de projets et d’initiatives sociales qui sont interconnectés et complémentaires. Pour certains, cela peut sembler utopique, car ce n’est pas ainsi que fonctionne la finance aujourd’hui. Pourtant, quelques investisseurs influents ont déjà adopté cette approche, et nous nous attendons à ce que de plus en plus les rejoignent dans les années à venir, à mesure qu’il deviendra évident que le modèle d’investissement basé sur des actifs uniques est insuffisant pour répondre aux défis systémiques de notre époque.

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