Interview du mois: Rosa Sangiorgio

Ce mois-ci, nous avons échangé avec Rosa Sangiorgio, présidente de la Swiss Platform for Impact Investing (SPII), sur la manière dont la Suisse s’affirme sur la scène mondiale de l’impact. Dans cette interview, elle explique le rôle du Global Steering Group for Impact Investing (GSG) et pourquoi faire partie de ce réseau regroupant plus de 40 pays est une opportunité stratégique majeure pour le secteur financier suisse. Rosa revient également sur les priorités de la SPII : mobiliser les capitaux, connecter les écosystèmes, et amplifier la voix de la Suisse à l’international, tout en démystifiant certaines idées reçues grâce aux faits et à la collaboration.

Pourriez-vous expliquer ce qu’est GSG Impact pour celles et ceux qui connaissent moins bien l’organisation ? Quels sont les avantages pour la Suisse de faire partie de ce réseau mondial ?

Le GSG Impact a été lancé en 2015, succédant au Social Impact Investment Taskforce établi sous la présidence britannique du G8. Sa mission est d’accélérer l’adoption de l’investissement à impact à l’échelle mondiale, en rassemblant des leaders de la finance, des entreprises, des gouvernements et de la société civile au sein d’un réseau de Conseils consultatifs nationaux, aujourd’hui présents dans plus de 40 pays.

L’un des défis de l’investissement d’impact est que son développement s’est fait de manière ascendante, porté par des acteurs de niche, sans disposer de l’échelle ou de l’harmonisation nécessaires pour influencer les flux de capitaux traditionnels. Le GSG répond à ce défi en créant de la masse critique, en connectant les écosystèmes et en favorisant le partage et l’adoption internationale de bonnes pratiques et de normes communes.

En résumé, le GSG agit pour faire progresser les politiques publiques, mobiliser les capitaux et renforcer les infrastructures qui permettent aux investissements de générer des impacts sociaux et environnementaux mesurables, tout en assurant des rendements financiers.

Pour la Suisse, faire partie de ce réseau mondial représente une opportunité unique. Prenant en compte notre réputation en tant que centre mondial de gestion de fortune, notre expertise en finance durable et notre culture d’innovation, nous pouvons à la fois contribuer au réseau du GSG et en tirer profit. Cette participation nous permet d’apprendre de nos pairs, d’accéder à des modèles éprouvés dans d’autres marchés et de nous aligner sur des définitions et attentes communes. Elle renforce ainsi notre écosystème national tout en amplifiant la voix et l’influence de la Suisse sur la scène internationale.

Quelles sont les priorités de travail de la SPII ? Et concrètement, comment la plateforme va-t-elle fonctionner ?

La Swiss Platform for Impact Investing (SPII) concentre ses efforts sur trois axes principaux :

  1. Mobiliser davantage de capitaux vers des investissements générant un impact positif en parallèle de rendements financiers.
  2. Renforcer l’écosystème suisse de l’investissement à impact, en favorisant le partage de connaissances, la clarté et la collaboration.
  3. Accroître le rôle et la visibilité de la Suisse en tant que hub mondial de premier plan dans le domaine de l’investissement à impact.

Notre fonctionnement repose sur la mise en relation et la coordination des parties prenantes, la facilitation des échanges de connaissances, et la catalyse d’initiatives conjointes. Nous avons lancé la SPII en décembre dernier, sélectionné un Conseil exécutif, et travaillons depuis à la fois à préciser notre Théorie du changement et à soutenir l’écosystème à travers plusieurs projets clés.

En élaborant ensemble notre Théorie du changement, nous avons identifié nos impacts cibles et relié chaque activité à des résultats stratégiques concrets.

En parallèle, nous avons initié ou soutenu plusieurs initiatives importantes au sein de l’écosystème ces derniers mois comme une cartographie de l’écosystème de l’impact, menée par Sustainable Finance Geneva et iGravity, ou encore une collaboration avec le GIIN pour une série de webinaires sur des thématiques clés de l’investissement à impact. Nous travaillons actuellement sur une publication issue de plusieurs tables rondes consacrées aux défis de la mesure d’impact. Parmi les sujets que nous espérons approfondir prochainement figurent : la collaboration avec des acteurs clés tels que les caisses de pension, le monde académique et les entrepreneurs, afin de mieux tirer parti de leurs compétences et de leur expérience.

Un point essentiel pour la communauté est que la SPII est avant tout une plateforme. Notre rôle est de connecter et coordonner les parties prenantes, de faciliter l’échange de connaissances et de catalyser des initiatives communes. Cela signifie que nous impliquons des acteurs de toute la Suisse dans nos travaux. Si le Conseil exécutif portait certains projets clés, nous mettrions également en place un processus permettant à la communauté de proposer et de piloter ses propres projets au sein de la SPII, afin d’assurer une meilleure cohérence entre les initiatives individuelles. Grâce à cette approche, nous souhaitons faire en sorte que la communauté suisse de l’investissement à impact soit plus forte que la somme de ses parties.

Comment décririez-vous le niveau actuel de sensibilisation et de connaissance autour de l’investissement à impact dans le secteur financier suisse ?

La sensibilisation progresse, mais la profondeur de la compréhension varie fortement selon les acteurs. De nombreuses institutions maîtrisent bien la finance durable, mais l’assimilent encore principalement à l’intégration ESG ou à la gestion des risques, plutôt qu’à la recherche intentionnelle d’un impact mesurable.

Dans certains segments, on observe une véritable curiosité et une volonté de s’engager activement. Dans d’autres, il reste nécessaire d’apporter davantage de clarté sur le modèle économique, la diversité des stratégies d’impact existantes, ainsi que sur le rôle que les investisseurs peuvent jouer pour répondre à des défis systémiques.

Quels sont les principaux obstacles qui freinent la mobilisation des capitaux vers l’investissement à impact ?

Il est clair que l’investissement à impact peut se faire à travers différentes classes d’actifs et prendre des formes très diverses, allant de l’allocation de capitaux à l’actionnariat actif. Les obstacles varient donc selon les outils mobilisés.

De manière générale, un premier frein majeur est la perception selon laquelle l’investissement à impact impliquerait nécessairement le sacrifice de rendements financiers. Cette idée n’est pas étayée par les données empiriques, mais elle demeure tenace.

Un deuxième obstacle réside dans le manque d’harmonisation des définitions et des métriques, qui crée de l’incertitude pour les investisseurs. Ce n’est pas tant la disponibilité de données qui pose problème, mais plutôt la cohérence dans leur utilisation.

S’ajoute à cela une inertie au sein des grandes institutions, dont les processus et mandats sont conçus pour l’investissement traditionnel. Cela se traduit de différentes manières : par exemple, la gestion du risque repose souvent sur des analyses rétrospectives plutôt que prospectives, qui prendraient en compte le risque de l’inaction. De même, les marchés émergents sont souvent globalement étiquetés comme “risqués”, alors que leurs contextes nationaux sont très différents et qu’ils jouent un rôle clé dans l’évolution démographique mondiale et l’innovation.

Enfin, de nombreux investisseurs manquent de visibilité sur les opportunités d’investissement concrètes, en particulier dans les marchés privés ou sur des thématiques émergentes, ce qui limite le flux de capitaux vers des projets à fort impact potentiel.

Vous avez mentionné qu’il existe des représentations biaisées sur l’investissement à impact aussi bien dans les économies développées que dans les économies émergentes. Comment la SPII travaille-t-elle à déconstruire ces croyances ?

Nous luttons contre ces idées reçues grâce à l’évidence, au dialogue et à la mise en visibilité. Par exemple, l’exercice de cartographie du marché fournira un outil précieux pour mieux comprendre qui sont les acteurs de l’écosystème, soutenir leur croissance et leur collaboration, et démystifier l’idée selon laquelle il s’agirait d’un marché de niche avec très peu d’opportunités d’investissement.

Nous souhaitons également travailler plus étroitement avec le monde académique, afin que sa précieuse base de connaissances puisse être rendue plus accessible aux parties prenantes et encourage les décideurs à s’appuyer sur des faits plutôt que sur des perceptions erronées.

Enfin, à travers des événements publics et des appels communautaires, nous continuerons à mettre en lumière les meilleures pratiques et des exemples concrets d’investissements qui ont généré à la fois de solides résultats financiers et des impacts positifs mesurables.

Comment les personnes intéressées peuvent-elles s’impliquer dans la SPII ?

Tout d’abord, vous pouvez vous inscrire à notre newsletter afin de rester informé(e)s des avancées des projets, des nouvelles ressources disponibles et des prochains appels à la communauté. Vous pouvez également participer à notre premier webinaire communautaire de la SPII le 15 octobre, au cours duquel nous lancerons la Swiss Impact Investing Map :

Invitation au lancement de la Swiss Impact Investing Map

Lors de cet événement, nous ouvrirons une consultation publique pour permettre aux parties prenantes de vérifier les données et/ou de signaler des acteurs manquants. Ensuite, si vous avez une idée de projet alignée avec les priorités de la plateforme, ou si vous avez des ressources pour soutenir des initiatives existantes, n’hésitez pas à nous contacter par e-mail à . Nous pourrions ainsi envisager une collaboration.

De manière générale, la SPII repose sur une dynamique collaborative : notre force viendra de la diversité et de l’engagement des personnes et organisations qui choisissent d’en faire partie.

En savoir plus : https://www.swissimpactinvesting.ch/

 

 

 

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