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Interview du Mois: André Hoffmann
Ce mois-ci, nous avons eu l’occasion d’interviewer André Hoffmann, un fervent défenseur des entreprises durables et un leader inspirant qui ouvre la voie à de nouveaux modèles de collaboration et d’action. Nous l’avons interrogé sur une série d’initiatives catalytiques dans lesquelles il est impliqué, notamment le nouveau Swiss Global Hub for Nature Finance qui fera de la Suisse une pionnière dans ce domaine crucial de la finance durable.
André Hoffmann est un homme d’affaires, un écologiste et un défenseur passionné de l’entreprise au service du bien commun. Il est vice-président de Roche Holding AG, l’entreprise familiale, et siège également au conseil d’administration du Forum économique mondial et de SystemIQ. André a mené une brillante carrière dans le domaine de la conservation de la nature et du développement durable ; il est président de la Fondation Tour du Valat, ainsi que membre du conseil d’administration de Capitals Coalition. De plus, il préside le conseil consultatif de l’Institut Hoffmann à l’INSEAD.
1. A l’occasion de Building Bridges 2024, vous avez annoncé que des plans étaient en développement pour lancer un Swiss Global Hub for Nature Finance. Comment va-t-il fonctionner et quels seront les objectifs de ce Hub ?
Je suis extrêmement enthousiaste à propos du Swiss Global Hub for Nature Finance, que nous avons annoncé lors de Building Bridges en décembre 2024. Mon espoir est qu’il devienne un catalyseur dynamique, réunissant les pourvoyeurs de capitaux, les entrepreneurs, les décideurs politiques, les scientifiques et la société civile autour d’un principe directeur : nous devons investir dans la nature si nous voulons un avenir prospère. De manière pratique, le Hub agira comme une plateforme qui regroupe des expertises et des ressources tout en identifiant des projets à fort impact. En favorisant la collaboration active – plutôt qu’en confinant chaque acteur dans son propre silo – nous pourrons provoquer un véritable changement. Trois objectifs principaux guident cette initiative. Premièrement, nous voulons débloquer et mobiliser des capitaux. J’ai vu de mes propres yeux l’abondance de projets prometteurs favorables à la nature, et je crois que nous pouvons les connecter au financement traditionnel, aux contributions philanthropiques et au soutien public. Deuxièmement, le Hub va développer et partager des connaissances en fournissant les données et les cadres nécessaires à l’intégration de la nature dans la prise de décision financière. En traduisant des recherches complexes en cadres pratiques, nous rendrons plus facile pour les institutions financières d’intégrer la nature dans leurs décisions quotidiennes – et nous leur montrerons que cette intégration n’est pas seulement bénéfique à la planète, mais qu’elle renforce également les rendements à long terme. Enfin, nous visons à établir des normes et à inspirer le changement en plaidant pour un reporting cohérent et une responsabilité claire. Si nous pouvons démontrer l’argument économique et l’impact mesurable des solutions basées sur la nature, je suis convaincu que davantage d’organisations adopteront une approche favorable à la nature.
2. Quelles seront les priorités de travail du Hub et comment espérez-vous qu’elles fassent avancer la finance de la Nature en Suisse ?
Je vois le Hub se concentrer sur trois domaines clés qui s’appuient sur les forces de la Suisse en matière de finance, d’innovation et de collaboration. Premièrement, considérer la nature comme une infrastructure vitale créée de nouvelles opportunités d’investissement dans les écosystèmes comme dans tout autre actif critique – une approche et une mentalité que je crois essentielles pour la résilience à long terme. Deuxièmement, exploiter la bioéconomie mondiale peut stimuler la croissance durable et soutenir les communautés locales, une cause qui me tient particulièrement à coeur. Enfin, nous devons cultiver la prochaine génération d’experts en ‘nature finance’ grâce à un développement ciblé des praticiens. Bien que nous en soyons encore aux premiers stades, je suis convaincu qu’en rassemblant des parties prenantes diverses – dans la finance, la politique, la technologie et l’éducation – nous pourrons établir un modèle qui non seulement protège la nature, mais prouve aussi sa valeur à notre prospérité commune.
3. Vous avez récemment publié un livre intitulé “The New Nature of Business: The Path to Prosperity and Sustainability”, qui s’appuie sur diverses leçons de durabilité que vous avez apprises dans vos propres rôles de leadership ainsi que de dirigeants d’entreprises. Qu’espérez-vous que les autres dirigeants d’entreprises retiennent de ce livre et comment aimeriez-vous les voir agir ?
J’ai écrit The New Nature of Business afin de démontrer que le véritable succès à long terme dépend de plus que des résultats financiers – il repose sur le respect et la régénération de notre capital social, humain et environnemental. À mon avis, profit et intention sont profondément liés : lorsque nous envisageons la nature non pas seulement comme une ressource à exploiter, mais comme un partenaire dans la création de valeur, nous ouvrons de nouvelles voies à l’innovation et la résilience. J’aimerais que les dirigeants aillent au-delà de la pensée à court terme et de la simple conformité, en intégrant la durabilité au cœur même de leurs stratégies. De pars mes expériences chez Roche et les études de cas concrètes d’entreprises comme IKEA et Schneider Electric, il m’apparaît évident que mesurer le succès avec de nouveaux critères et placer l’intention au centre permet non seulement de créer un impact, mais aussi d’attirer les meilleurs talents. Finalement, si nous adoptons cette vision plus large de la prospérité – une qui valorise l’humain et la planète aux côtés du profit – nous garantissons que nos entreprises restent pertinentes et deviennent de véritables forces de changement positif.
4. Vous êtes le cofondateur d’InTent, qui vise à favoriser la collaboration et à connecter les acteurs afin d’accélérer les initiatives favorables à la nature. Quels sont selon vous les plus grands obstacles à la collaboration entre les secteurs (entreprises, organisations à but non lucratif, gouvernements) et comment surmonter ces obstacles pour obtenir un impact à long terme ?
InTent est fondé sur la conviction que le véritable changement systémique nécessite une collaboration sincère entre tous les secteurs – entreprises, associations et gouvernements. L’un des plus grands obstacles auxquels nous faisons face est la pensée en silos qui prévaut encore dans le monde des affaires, du milieu académique et des politiques publiques. Chaque secteur a souvent des priorités, des calendriers et des définitions de succès différents, ce qui peut entraver le progrès collectif. Afin de surmonter cela, nous devons nous aligner sur un objectif commun et reconnaître notre interdépendance. Cela commence par la création d’une culture de transparence et de confiance, où les entreprises reconnaissent l’expertise de la société civile et où les décideurs comprennent le rôle crucial du secteur privé dans l’innovation. Cela implique également de fixer des objectifs clairs et mesurables – par exemple, atteindre des émissions nettes nulles ou restaurer la biodiversité dans des délais spécifiques – ainsi que de s’assurer que chaque acteur ait un rôle tangible à jouer dans la solution. Plus important encore, nous devons être prêts à apprendre les uns des autres. En réunissant ces forces dans une vision unifiée pour une économie favorable à la nature, nous créons un impact à long terme qu’aucune entité seule ne pourrait atteindre. Lorsque nous considérons la collaboration comme un investissement dans la résilience et le bien-être sociétal, plutôt que comme un coût, le véritable partenariat devient non seulement un impératif moral mais également une nécessité stratégique.
5. InTent a organisé un programme captivant lors de la réunion annuelle 2025 du Forum économique mondial. Quels ont été les résultats ou les actions qui en ont émergé ?
Cette année, nous avons introduit un nouveau format basé sur des ateliers axés sur l’action, et la réponse a été extrêmement positive. Cela a réuni un large éventail de voix – des PDG et des décideurs politiques aux scientifiques et aux leaders de la société civile – et a permis des discussions plus dynamiques et transparentes sur la manière d’accélérer les progrès. Le principal enseignement a été que les stratégies favorables à la nature gagnent du terrain, et il existe une volonté croissante de mesurer et de divulguer les impacts de manière systématique. Nous avons également mit en exergue la nécessité d’un leadership collaboratif en reconnaissant que si un acteur reste bloqué, cela affecte tout le monde. Par-dessus tout, les participants sont repartis avec un sens renouvelé de l’urgence et la conviction que le coût de l’inaction dépasse largement les obstacles auxquels nous sommes confrontés en avançant ensemble.