
Interview du mois: Barbara Buchner de Climate Policy Initiative
Barbara Buchner est directrice générale de la Climate Policy Initiative, où elle conseille les dirigeants sur les investissements en matière d’atténuation et d’adaptation au climat à travers le monde. Elle dirige également le Global Innovation Lab for Climate Finance, qui sollicite, façonne et teste des instruments de financement climatique de pointe dans les domaines de l’énergie, de l’adaptation et de l’utilisation des sols.
Barbara est récemment passée à Genève pour la conférence Giving Women sur les femmes en première ligne de l’action climatique, et nous avons profité de l’occasion pour nous entretenir avec elle et en savoir plus sur son travail.
Pouvez-vous nous parler de l’Initiative pour les politiques climatiques (CPI) ? Quels sont vos objectifs et pourquoi vous vous concentrez sur la finance en tant que levier essentiel de la lutte contre le changement climatique ?
La mission de Climate Policy Initiative (CPI) est de soutenir les gouvernements, les entreprises et les institutions financières à stimuler la croissance économique tout en luttant contre le changement climatique. La finance est au cœur de cette mission car l’ampleur du défi exige des investissements sans précédent – des milliards de dollars doivent être mobilisés et déployés efficacement pour assurer la transition vers un avenir juste, à faible émission de carbone et résilient.
Nous nous concentrons sur le financement en tant que levier clé car il relie les domaines de la politique, des marchés et de l’innovation. Les solutions climatiques existent, mais elles ont besoin de flux de capitaux adéquats pour être mises en œuvre à grande échelle. Nos recherches sur le suivi des flux financiers mondiaux en faveur du climat fournissent les données et les informations dont les parties prenantes ont besoin pour prendre des décisions éclairées, tandis que nos programmes sur le terrain contribuent à la conception et à la mise en œuvre d’instruments financiers innovateurs. Ainsi, les fonds ne sont pas seulement acheminés là où ils sont le plus nécessaires, mais aussi d’une manière qui en maximise l’impact. L’un des éléments clés de notre succès est de contribuer à rapprocher les silos et de rassembler les dirigeants des secteurs public et privé.
Le suivi du financement du climat est devenu essentiel dans la lutte contre le changement climatique. En tant qu’autrice principal du Global Landscape of Climate Finance, quelles sont les tendances ou les changements majeurs que vous avez observés ces dernières années ? Comment pensez-vous que le paysage du financement climatique évoluera au cours de la prochaine décennie, en particulier en ce qui concerne le soutien aux économies en développement ?
Le paysage mondial du financement de la lutte contre le changement climatique montre à la fois des progrès et des lacunes persistantes. Les flux annuels ont atteint un niveau record de 1,3 milliard de dollars, ce qui est prometteur, mais reste très inférieur aux 6,7 à 10 milliards de dollars estimés nécessaires chaque année jusqu’en 2050 pour éviter les effets les plus catastrophiques du changement climatique. L’écart est particulièrement important dans des domaines tels que l’adaptation et le soutien aux économies en développement.
Nous constatons également que le secteur privé joue un rôle plus important, puisqu’il contribue désormais à 54 % du total des flux financiers. Les investissements dans les énergies renouvelables et les transports durables dominent parce qu’il s’agit de secteurs plus matures. Toutefois, le problème demeure que des domaines essentiels tels que l’adaptation – le renforcement de la résilience aux impacts climatiques – reçoivent moins de 10 % du financement total. Ce déséquilibre est très préoccupant, en particulier pour les économies en développement vulnérables qui ont un besoin urgent de ces fonds pour protéger leurs communautés et leurs écosystèmes.
Une autre tendance est la disparité géographique. La majorité des fonds destinés à la lutte contre le changement climatique sont concentrés dans les pays à revenu élevé et intermédiaire, tandis que les pays à faible revenu, les plus vulnérables au changement climatique, ne reçoivent qu’une fraction de ce dont ils ont besoin. Cette situation souligne la nécessité de mettre en place de meilleurs mécanismes pour garantir que les fonds circulent équitablement et atteignent ceux qui se trouvent en première ligne de la crise climatique.
Pour ce qui est de l’avenir, je pense que le paysage évoluera dans trois domaines clés :
- La mise à l’échelle des modèles de financement transformateurs : Le financement mixte, par exemple, deviendra de plus en plus important. Il utilise des capitaux publics ou philanthropiques pour réduire les risques des investissements et attirer des fonds privés, en particulier pour des projets dans les économies en développement. Cette approche a déjà un impact, mais nous avons besoin de plus de modèles qui peuvent s’étendre de façon spectaculaire.
- Combler le déficit d’adaptation : Je m’attends à ce que le financement de l’adaptation fasse l’objet d’une pression plus forte. Le défi consiste à rendre ces outils opérationnels afin qu’ils apportent un soutien réel là où il est le plus nécessaire.
- Renforcer les capacités et les environnements favorables : Pour les économies en développement en particulier, attirer les investissements privés n’est pas qu’une question d’argent : il s’agit de créer les conditions adéquates. Il s’agit notamment de mettre en place des cadres politiques, un soutien technique et même des partenariats pour développer l’expertise locale.
Finalement, la prochaine décennie devra être une question d’équilibre et d’échelle. Nous avons fait des progrès dans la mobilisation de capitaux privés pour l’atténuation, mais nous devons maintenant veiller à ce que les financements circulent équitablement, soutiennent l’adaptation et donnent aux économies en développement les moyens d’être les chefs de file de la transition climatique mondiale. C’est l’occasion de créer un système financier plus inclusif et plus résilient, et c’est un défi que nous devons relever.
Vous étiez récemment à Genève pour parler de l’intersection du genre et du climat. Sachant que de nombreuses initiatives climatiques menées par des femmes peinent à obtenir les ressources dont elles ont besoin et que de nombreuses solutions financières classiques ne tiennent pas compte de la dimension de genre, comment pouvons-nous développer et reproduire des solutions de financement du climat qui soutiennent et incluent les femmes à tous les niveaux ? Avez-vous des exemples de modèles réussis ?
L’intersection du genre et du climat est cruciale, en particulier dans des secteurs comme l’énergie, où les femmes sont à la fois affectées de manière disproportionnée et considérablement sous-représentées dans la prise de décision. Les femmes dirigent souvent des initiatives communautaires dans le domaine des énergies renouvelables et de l’accès à l’énergie, ou en dépendent, mais des obstacles systémiques en matière de financement et de capacité empêchent ces initiatives d’atteindre leur plein potentiel. Le travail de suivi du financement climatique du CPI montre que les investissements intelligents en matière de genre dans l’agriculture et l’énergie propre renforcent la résilience climatique, en particulier dans les économies en développement. Les femmes peuvent servir de « multiplicatrices de bienfaits », encourageant des pratiques durables lorsqu’elles reçoivent un soutien adéquat. Cependant, malgré une prise de conscience croissante et un potentiel énorme, seule une petite fraction du financement climatique donne actuellement la priorité à l’égalité des sexes, ce qui souligne la nécessité d’un financement ciblé et d’opportunités d’investissement. Le financement climatique visant à promouvoir l’égalité entre les hommes et les femmes reste largement sous-financé, avec seulement 0,04 % de l’aide climatique donnant la priorité à l’égalité entre les hommes et les femmes.
Le rapport de la CC Facility intitulé Blended Finance and the Gender-Energy Nexus souligne le rôle essentiel que peut jouer le financement mixte pour combler cette lacune. Le financement mixte associe des capitaux publics ou philanthropiques concessionnels à des investissements privés afin de réduire les risques des projets et d’attirer des financements à grande échelle. Lorsqu’il est appliqué dans une optique de genre, il peut soutenir directement des initiatives menées par des femmes, promouvoir la participation des femmes dans le secteur de l’énergie et garantir des solutions énergétiques tenant compte de la dimension de genre.
Un exemple est la Women Entrepreneurs Financing Initiative (We-Fi), qui utilise un financement mixte pour fournir des subventions et des prêts à des entreprises dirigées par des femmes dans des secteurs tels que l’énergie propre. Un autre exemple est le Energy Access Relief Fund, qui donne la priorité aux approches sensibles au genre en incluant des mesures pour la participation des femmes à la mise en œuvre des projets et à l’emploi.
Pour transposer ces solutions à plus grande échelle, nous devons:
- Intégrer des objectifs spécifiques aux genres dans les instruments de financement du climat, en veillant à ce que la participation des femmes et les avantages qu’elles en tirent fassent l’objet d’un suivi explicite.
- Renforcer les capacités techniques et commerciales des femmes entrepreneuses, en les aidant à accéder à des marchés plus vastes et à des capitaux plus importants.
- Encourager les réformes politiques qui favorisent l’égalité des sexes dans l’accès à l’énergie, par exemple en imposant des quotas pour le leadership des femmes dans les projets énergétiques ou en encourageant les innovations axées sur les femmes.
L’augmentation du financement climatique sensible au genre n’est pas seulement une question d’équité, c’est un investissement intelligent. L’intégration de la dimension de genre dans les projets énergétiques conduit souvent à de meilleurs résultats économiques et environnementaux, créant un effet multiplicateur pour les communautés. En s’attaquant à la fois à l’offre et à la demande de financement, nous pouvons reproduire ces succès et donner aux femmes les moyens de mener la transition énergétique mondiale.
En tant que membre de plusieurs groupes mondiaux influents, tels que le groupe de travail du G20 sur la mobilisation mondiale contre le changement climatique et le groupe d’experts de la CCNUCC pour la course à zéro et la course à la résilience, vous participez à des discussions de haut niveau sur la finance durable. Selon vous, quels sont les changements ou les innovations politiques clés qui sont nécessaires de toute urgence au niveau international pour augmenter efficacement le financement du climat et atteindre les objectifs climatiques mondiaux ?
Pour accroître efficacement la quantité et la qualité du financement de la lutte contre le changement climatique, nous avons besoin urgemment d’une action internationale transformatrice. Tout d’abord, nous avons besoin d’une architecture financière mondiale adaptée au climat, avec des banques multilatérales de développement qui utilisent leurs financements concessionnels de manière plus efficace et qui tirent parti de leurs ressources et de leur collaboration avec les banques publiques de développement pour attirer les investissements du secteur privé. Deuxièmement, les approches établies et innovantes, y compris les mécanismes de financement mixte et les outils de réduction des risques, doivent soutenir les objectifs en matière de climat, de nature et de développement tout en ciblant les marchés émergents afin de mobiliser des capitaux privés à grande échelle. Troisièmement, le renforcement des institutions et des marchés nationaux est essentiel pour créer les environnements favorables et les capacités qui peuvent débloquer des financements importants, en encourageant son appropriation par le pays et des actions portées par ce dernier. Enfin, des systèmes de responsabilité solides doivent garantir la transparence et l’alignement du financement climatique sur des résultats tangibles. Ces réformes sont essentielles pour atteindre les objectifs climatiques mondiaux.