Prevention du greenwashing dans le secteur financier suisse: dernier développements
Le greenwashing est considéré, tant en Suisse qu’à l’étranger, comme un risque majeur pour la mise en œuvre de politiques de développement durable efficaces. Les efforts pour lutter contre la pratique de “greenwashing” s’intensifient donc. Parmi les développements les plus récents survenus en Suisse, ce document couvre la décision du Conseil fédéral d’octobre 2023 de réglementer par voie d’ordonnance sa stratégie de lutte contre le greenwashing et la directive publiée en décembre dernier par la Commission suisse pour la Fair Trading sur le marketing vert.
- Quelques rappels
Cette première section donne un bref aperçu de la notion de greenwashing en droit suisse/autorégulation et des mesures en vigueur pour prévenir le risque de greenwashing dans le secteur financier.
a. Qu’est-ce que le greenwashing?
A ce jour, la notion de greenwashing n’est définie ni dans la loi, ni dans les autorégulations de l’Association Suisse des Banques (ASB)[1] ou de l’Asset Management Association Switzerland (AMAS). Cependant, quelques tentatives dispersées de définition peuvent être trouvées.
En particulier, l’Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers (FINMA) qualifie de greenwashing les pratiques qui ont pour effet, intentionnellement ou non, d’induire en erreur les investisseurs et les clients sur les caractéristiques durables des produits et services financiers[2].
Le Conseil fédéral, quant à lui, considère qu’il y a greenwashing dans le secteur financier lorsque, par exemple, un instrument ou un service financier est présenté comme ayant des caractéristiques durables ou poursuivant des objectifs de durabilité, et que cette présentation ne reflète pas adéquatement la réalité[3].
Dans le contexte des produits et services financiers, la définition de ‘greenwashing’ soulève une question préliminaire à laquelle il faut répondre : qu’est-ce qu’un investissement durable ? Or, la notion d'”investissement durable” reste floue dans la réglementation suisse.
En l’état, seule l’autorégulation AMAS sur la transparence et la divulgation donne une définition de ce que l’on entend par investissement durable : un investissement est considéré comme durable s’il a un lien avec la durabilité. Un tel lien existe si l’investissement est décrit ou positionné comme durable en référence aux approches ESG décrites dans l’autorégulation (par exemple, investissement thématique, stewardship, alignement sur le climat).
b. Quelles sont les mesures en place en Suisse pour lutter contre le greenwashing ?
Les mesures adoptées à ce jour pour prévenir le greenwashing sont essentiellement des mesures d’autorégulation. L’autorégulation AMAS[4] et les lignes directrices de l’ASB sur les préférences ESG[5] visent, entre autres, à lutter contre le greenwashing en créant une plus grande transparence au niveau de l’institution financière et des caractéristiques des produits (autorégulation AMAS), ainsi qu’au niveau de l’information communiquée au client (point de vente) (lignes directrices de l’ASB).
Ces mesures sont basées sur une stratégie de transparence. L’approche consiste à mettre en place un système où les clients peuvent accéder à des informations fiables, leur permettant de comparer les produits et de prendre des décisions d’investissement informées. Toutefois, ces autorégulations ne sont contraignantes que pour les membres de l’ASB et, respectivement, de l’AMAS.
- Failles dans l’autorégulation actuelle
Dans sa prise de position du 16 décembre 2022, le Conseil fédéral constate que les réponses apportées par l’autorégulation ne sont pas suffisantes. Il préconise notamment l’introduction d’un cadre uniforme applicable à tous les produits et services financiers. L’objectif est de sortir de l’approche fragmentée qui prévaut aujourd’hui.
Les éléments clés de la nouvelle réglementation proposée sont les suivants :
- Une classification commune pour clarifier ce qui constitue un produit ou un service financier durable.
- Description des approches de durabilité appliquées, sous la forme d’informations facilement accessibles au public, transparentes et comparables.
- L’obligation de justifier le(s) objectif(s) de durabilité choisi(s), de manière à pouvoir évaluer la conformité entre les objectifs déclarés et leur mise en œuvre.
- La vérification par un tiers indépendant (auditeur) des principes de transparence appliqués par l’institution financière.
- Caractère contraignant de la nouvelle réglementation contre l’écoblanchiment, mise en œuvre effective de ses obligations et recours juridique pour les clients en cas de non-respect.
- Derniers développements
a. Vers une réglementation contraignante dans le secteur financier
Suite à sa prise de position de décembre 2022, le Conseil fédéral a décidé le 25 octobre 2023 que les mesures qu’il préconise pour lutter contre le greenwashing dans le secteur financier devraient être réglées par voie d’ordonnance.
Le Département fédéral des finances (DFF) a jusqu’à fin août 2024 pour élaborer un projet d’ordonnance. La possibilité de lutter contre le greenwashing par l’autorégulation des associations professionnelles n’est toutefois pas totalement exclue. Le gouvernement suisse s’abstiendra d’intervenir si les associations professionnelles soumettent une proposition de cadre d’autorégulation qui atteint les mêmes objectifs que ceux soutenus par le Conseil fédéral.
Etant donné que les éléments clés décrits dans la position de décembre 2022 comprennent l’établissement de recours juridiques pour les clients, il semble peu probable qu’une solution basée sur la seule autorégulation soit suffisante. L’autorégulation, qui est de nature privée, ne permet pas d’introduire des moyens juridiques étatiques. De plus, l’autorégulation ne peut être contraignante que pour les membres de l’organisation qui l’a émise (à moins que cette autorégulation ne soit reconnue par la FINMA comme une norme minimale de la branche, et donc contraignante pour tous les acteurs de la branche).
Il semblerait toutefois approprié que l’ordonnance soit complétée par une autorégulation qui préciserait les détails des obligations en matière de greenwashing et leur mise en œuvre.
b. Directives sur la publicité concernant l’environnement
Le 19 décembre 2023, la Commission suisse pour la loyauté a publié une nouvelle directive sur la publicité utilisant l’environnement ou les allégations climatiques[6].
La Commission suisse pour la loyauté est un organisme privé créé en 1966 par l’industrie de la communication pour surveiller la publicité et empêcher les pratiques publicitaires déloyales au sens de la loi fédérale sur la concurrence déloyale (LCD).
En tant qu’organisme indépendant de droit privé, cette commission n’est pas investie d’une autorité publique et n’est donc pas autorisée à imposer des sanctions ou des mesures en vertu de la LCD. Néanmoins, il est possible de déposer une plainte auprès de la Commission suisse pour la loyauté concernant une publicité que le plaignant (p. ex. consommateurs, clients ou concurrents) considère comme déloyale en vertu de l’article 3 de la LCD. Après examen de la plainte, la Commission rend une décision et, si la plainte est confirmée, émet des recommandations visant à faire cesser la pratique déloyale.
La nouvelle directive rappelle les principes fondamentaux de la publicité en droit suisse, à savoir les principes de véracité et de clarté. Elle précise notamment ce qu’un consommateur/client de bonne foi est en droit d’attendre lorsque des indications telles que “durable”, “respectueux de l’environnement”, “neutre en CO2” ou “climatiquement neutre” sont utilisées dans un contexte publicitaire.
Bien que cette ligne directrice ne vise pas spécifiquement les institutions financières et qu’elle ne soit pas contraignante, elle rappelle que le greenwashing est une forme de publicité trompeuse qui est déjà soumise aux conditions de la LCD. Les informations et clarifications contenues dans cette ligne directrice pourraient inspirer les tribunaux lorsqu’ils examinent le bien-fondé d’une plainte contre le marketing vert.
De même, les principes élaborés par la Commission suisse pour la loyauté peuvent fournir aux institutions financières des orientations utiles lorsqu’elles définissent leurs pratiques de marketing pour les produits durables.
Autres sujets et développements à suivre:
· Dernière mise à jour des Swiss Climate Scores[7]: L’outil de notation “Swiss Climate Scores”, lancé en juin 2022, a été partiellement mis à jour le 8 décembre 2023 afin de faciliter son utilisation par les institutions financières et les investisseurs. Les Swiss Climate Scores restent toutefois non contraignants. · Projet de nouvelle circulaire de la FINMA sur les risques financiers liés à la nature[8]: Le 1er février 2024, la FINMA a lancé une procédure de consultation publique concernant sa nouvelle circulaire sur les risques financiers liés à la nature. La procédure durera jusqu’au 31 mars 2024. L’entrée en vigueur de la nouvelle circulaire est prévue pour janvier 2025. · Reporting ESG[9]: Les entreprises soumises à l’obligation de reporting extra-financier selon les articles 964a et suivants du Code suisse des obligations devront publier leur premier rapport ESG cette année.
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[1] See, however, the three aspects of greenwashing described by the SBA on its website: https://www.swissbanking.ch/en/topics/sustainable-finance/greenwashing.
[2] FINMA Guidance 05/2021 “Preventing and combating greenwashing”, 3 November 2021, p. 2.
[3] The Federal Council’s position on the prevention of greenwashing in the financial sector, 16 December 2022, p. 1.
[4] Self-regulation on transparency and disclosure for sustainability-related collective assets, as of 1st November 2023.
[5] Guidelines for the financial service providers on the integration of ESG-preferences and ESG risks into investment advice and portfolio management, October 2023.
[6] The Guideline (in French and German) is available here.
[7] See press release: Federal Council decides on further development of Swiss Climate Scores, 8 December 2023.
[8] See press release: Nature-related financial risks: FINMA launches consultation on new circular, 1st February 2024.
[9] See Increased transparency in the context of non-financial reporting duties (Part II), Newsletter The Bridge, March 2022.