SHE Changes Climate ou comment s’attaquer aux disparités de genre et renforcer l’action climatique

Ce mois-ci, pour cette édition spéciale de notre newsletter consacrée au genre, nous avons eu le privilège d’interviewer Elise Buckle et Dominique Brustlein-Bobst, respectivement cofondatrice et ambassadrice de SHE Changes Climate, une ONG qui se consacre à l’augmentation de la représentation féminine à tous les niveaux de la prise de décision sur le climat en influençant les acteurs clés, en faisant campagne pour obtenir le soutien du public, en collaborant avec des homologues et en amplifiant les oublis. Avec elles, nous plongeons dans les problèmes de disparité entre les sexes dans le monde de la finance et nous abordons les moyens de renforcer l’action climatique en plaçant les femmes au centre de ce combat.

En mars, nous célébrons la Journée internationale des femmes, alors parlons d’abord de l’éléphant dans la pièce. Des études récentes sur la diversité des sexes montrent que le secteur de la finance n’est pas très performant, avec seulement 15 % de femmes qui occupent des postes d’associées dans les sociétés de services financiers. Qu’est-ce que cela signifie? Pourquoi est-il important de s’efforcer d’accroître la diversité des sexes ?

C’est vrai, et il faut aussi ajouter que seulement 2% des PDG des banques sont des femmes. SHE Changes Climate est proactive sur cette question et a inclus plus de détails sur la sous-représentation des femmes dans des postes de direction dans notre Issue Brief 2022 intitulé Strengthening Solutions through Inclusive Leadership. Il s’agit d’un problème systémique, et nous ne sommes pas sur la bonne voie pour atteindre la parité des genres. Selon le dernier rapport du Forum économique mondial et du Global Gender Gap Report, il faudra encore 132 ans pour combler la disparité systématique entre les genres.

Ce phénomène est encore plus marqué dans le secteur de la finance. Cela signifie que ce sont principalement les hommes qui prennent les décisions concernant l’avenir de l’économie et le choix des secteurs dans lesquels investir. Pourtant, de nombreuses preuves et de données montrent que lorsque les entreprises comptent au moins 50 % de femmes dans leur conseil d’administration, elles obtiennent de meilleurs résultats financiers et en matière d’indicateurs ESG.

En outre, les femmes et les jeunes ont tendance à pousser les dirigeants à adopter des politiques et des plans plusambitieux en matière de climat et de durabilité. La diversité et l’inclusion sont essentielles si nous voulons réussir une transition énergétique rapide et juste. Chez SHE Changes Climate, nous sommes un mouvement inclusif et diversifié et nous voulons que les hommes fassent également partie de cette transformation. Cela ne signifie donc pas qu’il faille retirer les hommes de leurs postes de direction. Nous avons une approche complémentaire : nous avons besoin que les hommes et les femmes ouvrent la voie ensemble à cette transformation. C’est aussi pourquoi nous souhaitons voir émerger un modèle de leadership partagé à tous les niveaux du processus décisionnel.

SHE Changes Climate attribue aux femmes un rôle central pour renforcer l’action climatique. Pourquoi adoptez-vous cette approche ?

Les femmes représentent plus de 51% de la population mondiale, mais elles sont fortement touchées par les changements climatiques. À l’échelle mondiale, environ 80% des réfugiés sont des femmes. Elles représentent également la plupart des personnes qui vivent sous le seuil de pauvreté. Et dans la plupart des pays en développement, elles n’ont pas le même accès aux ressources économiques et aux technologies de l’information, ou même aux connaissances de base pour survivre lorsqu’une catastrophe naturelle frappe leur communauté. C’est pourquoi, au Pakistan, par exemple, certains groupes donnent désormais des cours de natation aux femmes et aux jeunes filles afin qu’elles puissent survivre en cas d’inondation.

En même temps, les femmes sont aussi les championnes de la résilience. Ce sont elles qui maintiennent leurs communautés unies, qui trouvent des ressources et des réseaux de solidarité, qui fournissent de la nourriture à leurs familles, même lorsqu’une sécheresse frappe leur village.

Plus important encore, nous sommes convaincues que les femmes sont les “multiplicatrices” de solutions, les pionnières et les leaders qui peuvent réellement aider la société toute entière à se transformer en adoptant un modèle de développement plus durable.

Il existe de nombreux exemples de femmes leaders (comme Angela Merkel ou Jacinda Ardern) qui ont réussi à permettre à leur pays respectif de traverser la pandémie de COVID-19 en assurant un meilleur accès aux soins de santé pour tous. Diriger avec empathie, et être à l’écoute des autres sont essentiels lorsqu’il s’agit de gérer une crise systémique.

Le monde a besoin de plus de femmes leaders à la table des négociations liées aux enjeux climatiques de la CCNUCC et à tous les niveaux de prises de décision, que ce soit au sein des gouvernements, des parlements et des entreprises. Lorsque les femmes ont un pouvoir de prise de décision, généralement de meilleurs résultats émergent pour le bien collectif. Cela est également vrai pour les pourparlers en vue de la restoration de la paix dans une région auxprises à des conflits.

Sur votre site web, vous dites que vous croyez en la “collaboration radicale” pour faire avancer les enjeux liée à la durabilité et l’action climatique. Qu’est-ce qui est radical pour vous ? À quoi ressemble ce type de collaboration ?

Nous sommes confrontés à une urgence planétaire et à une triple crise pour le climat, l’Homme et la nature. Les plus vulnérables en paient le prix fort. Et nous devrions tous agir ensemble, et ce, de toute urgence, pour faire face à cette crise qui touche – et touchera – tous les êtres humains. Nous sommes tous nés sur la planète Terre, c’est notre seule maison. Notre défi?: nos systèmes économiques et politiques sont toujours orientés vers la défense d’intérêts nationalistes et individualistes.

Nous pensons que nous ne pouvons répondre à l’urgence climatique qu’en travaillant comme une équipe unie. Cela nous demandera beaucoup de courage pour laisser tomber certains de nos anciens héritages et loyautés et adopter une forme radicale de collaboration. Les alliances et les partenariats les plus puissants peuvent libérer le pouvoir de l’action collective en réunissant tout le monde autour de la table en attribuant à tous une voix égale pour trouver des solutions globales à des enjeux globaux. Cela signifie travailler avec les Nations unies, les gouvernements, les entreprises, les syndicats, les agriculteurs, les populations autochtones, les chefs spirituels, les ONG environnementales, les associations de santé, etc. et avec une diversité de personnes en termes de sexe, de race, d’orientation sexuelle ou d’origine culturelle. Lorsque nous trouvons le dénominateur commun, nous pouvons faire de la magie ; l’action collective prend alors réellement son envol pour le bien collectif.

La finance a manifestement un rôle énorme à jouer dans la lutte contre les changements climatiques. Quelles sont les principales mesures que vous aimeriez voir le secteur financier prendre pour lutter de manière crédible contre ce type précis d’enjeux ?

L’émission de rapports liés aux paramètres ESG a été une première étape, et une étape importante pour sensibiliser les acteurs financiers aux questions sociales et environnementales et faire en sorte que ces enjeux soient intégrés dans les pratiques de l’industrie. Le travail entamé par la TCFD (Task Force of Climate related Financial Disclosure) était également essentiel pour mieux gérer et atténuer les risques climatiques. La même approche est maintenant explorée pour la nature, bien qu’il soit plus complexe de s’entendre sur des indicateurs mesurables et communs pour évaluer les impacts sur la biodiversité.

Ce qu’il faut maintenant, ce sont des actions plus crédibles. Nous disposons de suffisamment de connaissances, de données scientifiques et de rapports pour nous guider dans ce processus. Comment réellement réussir la transition vers une économie nette zéro ? Les émissions mondiales sont toujours en hausse, même sept ans après l’approbation de l’accord de Paris par la quasi-totalité des nations du monde. Al Gore a prononcé un discours qui donne à réfléchir à Davos : le système financier continue de nourrir notre dépendance aux combustibles fossiles. Chaque jour, les économies occidentales donnent encore 100 millions de dollars par jour à la Russie pour les combustibles fossiles. Nous pouvons nous attendre à un milliard de réfugiés climatiques d’ici 50 ans. Et pourtant, l’année dernière, 60 banques ont investi 740 milliards dans de nouveaux actifs liés aux combustibles fossiles. À ce stade, les changements progressifs mis en place ne sont pas suffisants. Le verdissement de quelques pourcentages de l’ensemble de nos portefeuille d’investissements ne suffira pas. Nous avons vraiment besoin d’une transformation systémique du système financier, avec l’instauration d’incitations économiques plus nombreuses et plus efficaces pour éliminer progressivement les combustibles fossiles et financer l’accès de tous aux énergies propres. Les gouvernements doivent modifier les règles du jeu en améliorant et en renforçant les réglementations ainsi qu’en assurant une coordination internationale, en particulier entre les pays du G20 afin d’uniformiser les règles du jeu.

Qu’est-ce qui nous manque pour pousser les organisations et les individus à s’unir pour renforcer l’action climatique ?

Un élément qui nous manque toujours, c’ st l’esprit de collaboration radicale et de leadership qui prévalait au moment de l’Accord de Paris. Il a été clairement érodé par la montée du nationalisme (aux États-Unis, en Russie, mais aussi en Europe), la crise du COVID-19 et maintenant la guerre en Ukraine et ses effets sur les marchés de l’alimentation et énergétiques. Lorsqu’il y a de la peur, les gens ont tendance à se replier sur eux-mêmes et à se limiter à protéger leurs intérêts immédiats et à court terme. Mais personne n’est à l’abri des conséquences des changements climatiques. Ce qui est en jeu est bien plus important.

En dépassant les limites de renouvellement des ressources de la planète, nous entrons dans l’ère de l’Anthropocène, les êtres humains ayant un impact irréversible sur la biosphère, et ce, pour de nombreuses années à venir. À l’heure actuelle, la surface de glace en Antarctique atteint un niveau plancher record et les scientifiques nous avertissent qu’ils n’ont jamais vu une situation aussi extrême. Cette dernière étant susceptible de provoquer une montée massive des océans. Le système financier est aveugle à ce genre de risque, car il ne s’est pas encore matérialisé. C’est pourquoi il est si urgent et essentiel d’aligner rapidement nos perspectives et prévisoins économiques à long terme à celles à plus court terme par le biais de partenariats public-privé et de nouvelles réglementations adaptées à nos défis.

Dominique Brustlein-Bobst, ambassadrice pour SHE Changes Climate en Suisse & Elise Buckle, Ccofondatrice de SHE Changes Climate.

Invitation: vous êtes conviés à vous joindre à nous pour notre événement se tenant au club de la presse de Genève à l’occasion de la journée internationale des femmes: https://www.shechangesclimate.org/news/embraceequ 

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