La Genève internationale et l’urgence climatique

Secrétaire général de l’organisation mondiale de la météorologie OMM de 2004 à 2015, Michel Jarraud est l’auteur du rapport « La Genève internationale et l’urgence climatique » paru en mai 2022 pour le compte de la Fondation pour Genève. En pleine canicule, il a eu la gentillesse de nous livrer sa perception du monde dans lequel nous vivons et celui vers lequel nous allons. Il faisait plus de 35 degrés dans les locaux de SFG … plus que jamais la question de l’urgence climatique prenait tout son sens.

Quelle est la place de Genève s’agissant des initiatives relatives à l’urgence climatique ?

L’atout le plus important de Genève est son aspect multidisciplinaire qui couvre tous les éléments nécessaires de la lutte contre le changement climatique, c’est à dire : acteurs multilatéraux, gouvernements (notamment à travers les missions), acteurs techniques (OMM), ONGs, le secteur privé (avec lequel il est facile d’interagir) et le secteur académique. Genève présente l’avantage d’être une petite ville où les échanges et les changements sont facilités, tout en étant assez influente pour que ce qui s’y passe ait un impact en termes d’exemplarité. Finalement, Genève bénéficie d’un écosystème politique qui pourrait permettre la mise en place de mesures contre le réchauffement climatique.

A titre de contre-exemple, aux Etats-Unis, le gouvernement fédéral se retrouve souvent les mains liées. Le Président peut avoir une stratégie climatique intéressante mais sa mise en application est généralement rendue très difficile par des contre-pouvoirs institutionnels comme le congrès ou la cour suprême.

La chance de Genève, c’est la richesse des compétences sur un petit territoire. La Ville et le canton devraient ainsi jouer un rôle pionnier s’agissant la mise en œuvre d’actions concrètes. Se reposer sur le savoir-faire international et l’appliquer de manière locale.

Dans un monde idéal, il faudrait donc un soutien politique et financier fort, permettant de faire de cette ville un laboratoire.

Exactement ! Il existe plusieurs initiatives très intéressantes à Genève mais, elles restent encore trop marginales par manque de moyens. Cela dit, un soutien financier important nécessite également un retour financier ou une promesse d’impact. Une structure comme SFG ou l’initiative Building Bridges peuvent être très utiles pour aider les scientifiques à penser en ces termes financiers. Il faut absolument permettre à ces deux mondes de se parler, de se comprendre et d’agir de concert.

Avez-vous le sentiment que les politiques montrent le chemin aux autres écosystèmes ?

Pas toujours, et en tous cas, pas assez souvent. Les échelles de temps des politiques sont rythmées par la durée de leur mandat. Si l’on prend un mandat présidentiel, ce sera généralement 4-5 ans. Les priorités sont donc dominées par des considérations à court terme. Or, le changement climatique requiert des actions et des investissements immédiats qui auront un retour dans 10, 20, 50 ans. La crise énergétique actuelle, découlant de la guerre en Ukraine en est un bon exemple. Les politiques sont confrontés à des problèmes urgents pour lesquels il faut trouver des solutions. Cela les éloigne encore plus des réflexions à long terme. Dans les pays en développement, ce phénomène est d’autant plus marqué. Les politiques sont submergés par des problèmes immédiats (éducation, santé, infrastructures). Si ces considérations sont compréhensibles, il faut garder à l’esprit que le réchauffement climatique et les catastrophes naturelles menacent certains des progrès réalisés. Il faut donc avoir le courage d’agir sur le court et moyen / long terme, sans quoi, les efforts seront vains.

La guerre en Ukraine fait pourtant apparaître les immenses fragilités du système actuel ?

Les crises permettent aussi parfois de faire ouvrir les yeux.

Le premier effet à court terme de ce conflit, d’un point de vue purement climatique, est négatif. Les pays vont temporairement avoir recours à des productions d’énergies « sales », telles que les centrales à charbon. Cependant, on peut espérer que la réalité brutale à la dépendance énergétique au gaz russe permettra de convaincre les gouvernements de la nécessité d’investir dans les énergies renouvelables et locales. Les résultats de ces investissements ne se feront toutefois sentir que dans des dizaines d’années.

En matière de politique internationale, pensez-vous que Genève peut encore être une place de la discussion multilatérale ?

Je crains que le climat politique actuel favorise les discussions bilatérales au détriment des négociations multilatérales. Ce mouvement serait terriblement préjudiciable aux discussions sur le climat. Lorsque l’on parle de climat, tous les pays doivent avoir leur mot à dire car tous ne jouent pas le même rôle et ne subissent pas les mêmes conséquences. L’Afrique, par exemple, est un continent qui n’émet que très peu de gaz à effet de serre mais, malheureusement, qui subit violemment les impacts du réchauffement. Les pays africains doivent donc avoir une voix forte dans les discussions à ce sujet. Genève pourrait être cet endroit !

Quid de la prochaine COP27 à Charm El-Cheikh ?

Il s’agira de la première COP organisée après la parution complète des rapports du GIEC. Or, les nouvelles ne sont pas bonnes. L’objectif de contenir à maximum 1.5°C l’augmentation des températures, semble désormais raisonnablement inatteignable. Celui du 2°C semble également s’éloigner rapidement. Pour y parvenir, il faudrait des engagements plus ambitieux des pays. Il faudrait également une traduction par les actes. Pour rappel, Glasgow était la première COP au cours de laquelle les Etats devaient faire rapport sur leurs engagements et les revoir à la hausse. Cela n’a pas eu lieu. On attend donc de la COP27 que cet exercice se réalise. La question des financements aux Etats vulnérables et celle des marchés carbone devraient faire l’objets de discussions sérieuses. Pour ma part, j’espère qu’il y aura au moins un accord de principe sur ces points. C’est vraiment le minimum si l’on prétend être sérieux. Je sais que c’est politiquement très difficile.

La finance intègre désormais le risque lié au changement climatique et à la perte de la biodiversité dans ses évaluations financières. Quid des politiques publiques ?

On assiste aujourd’hui aux balbutiements de cette prise de conscience et uniquement dans certains pays développés. Toutefois, on note aussi que les opinions publiques sont de plus en plus sensibles à cette question. Aux Etats-Unis par exemple, une étude récente montre que la perception des gens face aux changements climatiques a évolué drastiquement lors des 5 dernières années. La fréquence des catastrophes a été un déclencheur. Episodes de feux de forêts, ouragans, problèmes d’approvisionnement en eau, températures extrêmes, tout cela devient très concret.

Cette prise de conscience se traduit toutefois encore peu en action publique.

Et le secteur privé, financier et économique, quel devrait être son rôle ?

Le secteur financier doit jouer un rôle encore plus important. Genève est le seul endroit permettant un dialogue concret entre la place financière et le secteur multilatéral international. L’initiative Building Bridges est, à cet égard, essentielle. Il faut l’encourager. Elle représente un essai très concret qui pourrait permettre d’avancer dans la bonne direction.

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